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Entreprise et contrôle

Sous pression les salariés ? Plus autonomes et responsabilisés mais parallèlement plus observés, évalués, mesurés, sont-ils vraiment libres dans l’entreprise ? Aujourd’hui l’employeur peut tout savoir sur ses salariés.

Le développement de la malveillance et de l’insécurité dans le monde économique ces dernières années et la concurrence de plus en plus vive ont conduit l’entreprise à se protéger et à s’assurer de la performance et de la loyauté de son personnel. Or, le management et les méthodes mis en place peuvent fortement impacter son bien-être, voire sa santé mentale. Dans une culture moderne censée donner plus d’autonomie et de responsabilités, les collaborateurs se trouvent finalement cloisonnés dans des structures normées qui laissent très peu de place à l’initiative et l’imprévu.

Depuis quelque temps les méthodes de management basées sur le contrôle de la performance se multiplient grâce aux nouvelles technologies et au lancement d’outils de plus en plus précis. Il en résulte bien souvent une souffrance au travail et une montée du stress. Cette situation augmente donc les risques psychosociaux et c’est pourquoi de nombreuses réflexions sont menées dans le but de limiter les différentes pathologies qui en découlent. Renaud Muller, auteur avec Pierre Chaudat de Nouvel- les organisations : entre souffrance et performance, développe : «On est sorti du taylorisme mais le contrôle s’opère différemment aujourd’hui. Il est devenu impersonnel et diffus et peut être idéologique. Les personnes se sentent alors contrôlées par leur adhésion ou non au système mis en place. Ainsi, beaucoup de procédures se développent notamment pour adhérer à un système qualité. » Même si on considère souvent que les règles sont faites pour être contournées, un DRH d’une grande entreprise française, voit les choses différemment : « Il est normal que les entreprises contrôlent les collaborateurs qui, souvent, abusent des libertés laissées. J’ai vu deux personnes sortir en même temps des locaux pour fumer une cigarette et abandonner ainsi le standard. C’est inadmissible. »

Alors quelles limites fixer ? Les salariés sont-ils prêts à s’investir dans leur métier quand ils sont soumis à trop de surveillance ? A contrario, trop de laxisme n’incite-t-il pas, peu à peu, à un laisser- aller généralisé ? « L’employeur a souvent le sentiment de gagner plus en contrôlant. Or les outils génèrent des comportements de contournement et le développement de pathologies liées au manque de distance, explique Renaud Muller, Si la personne évolue dans un cadre trop normée, on ne lui permet plus d’exercer son intelligence. Il y a toujours une différence entre le travail demandé et le travail réellement effectué. Il faut laisser aux individus la possibilité de réinventer leur travail

La performance est donc de nos jours mesurée, calculée

Sur les ordinateurs, l’employeur peut suivre les temps de connexion et par conséquent le temps de travail probable. Les logiciels de gestion des ressources humaines, plus les bases de données issues des entretiens d’évaluation par les n+1, permettent à l’entreprise d’optimiser la gestion des compétences et des talents. Du coup, les activités des salariés et leurs performances sont de plus en plus surveillées. Les résultats d’un collaborateur sont souvent visibles par son supérieur hiérarchique mais aussi par l’équipe entière. Renaud Muller affirme : « Ces systèmes n’ont pas été conçus pour contrôler mais peuvent être positionné comme tels. Le système peut être culpabilisant et accusatoire.» La plupart du temps, la pression se ressent plus fortement sur les tâches à faible valeur ajoutée qui nécessitent un fort rendement pour être rentables. Ainsi, les personnes qui travaillent dans les centres d’appel sont de plus en plus suivies sur le nombre d’appels traités et la qualité du service rendu. « Depuis 10 ans nos outils de mesure se sont affinés. Nous pouvons mesurer la production et discuter avec chaque collaborateur de l’atteinte des résultats, précise Christophe Collignon, directeur d’IMA technologies. Nos salariés travaillent par téléphone mais également par mails, tchats, ou encore SMS. Ils ont accès à leurs données et peuvent s’évaluer par rapport à la moyenne de production des autres. S’autoévaluer permet de s’améliorer. Nous avons mis en place un système pour mesurer les compétences et plus le salarié devient efficace plus son salaire augmente. Nous évaluons en permanence mais de façon transparente. Nous sommes dans une logique d’encouragement et non de sanction. » Jean-Claude Casalegno, professeur à HEC, témoigne : « Les processus de contrôle ont augmenté de façon générale. On a vu, par exemple, une explosion du nombre de contrôleurs de gestion. Cela est lié à une perte de valeur ajoutée et à l’exigence accrue des actionnaires. En France, on est marqué par le modèle de la compétitivité par les prix. Peu à peu, nous en sortons en développant l’innovation. » Ainsi la créativité génératrice de compétitivité, comme c’est le cas pour les industries du luxe, pourrait se substituer à la rentabilité par le contrôle.

Une forte pression a également été mise sur les commerciaux pendant la crise

Le nombre d’appels sortants est contrôlé car ils doivent atteindre un objectif de prospection ou d’entretien de clientèle. L’équipement en téléphonie mobile a accru également le stress des commerciaux et des managers. Avec la téléphonie mobile, il est très facile de suivre les salariés dans leur activité. Cette intrusion quotidienne peut être déstabilisante. Les portables, Blackberries ou iPhones permettent de suivre pas à pas les salariés. La limite entre vie privée et vie professionnelle devient de plus en plus ténue ; s’il reçoit un mail ou texto, même tard le soir, de son n+1, le collaborateur se sent implicitement obligé de répondre. Le contrôle devient permanent. De nombreuses entreprises commencent d’ailleurs à mettre en place des règles afin d’interdire l’inflation des mails, notamment après une certaine heure, de façon à limiter la pression provoquée par la trop grande quantité de sollicitations. Autre facteur générateur de stress notamment pour les commerciaux : les véhicules équipés de balises GPS. La géolocalisation soulève de nombreuses questions de respect des droits des salariés. Stéphanie Rousset, directrice de l’Association régionale de l’amélioration des conditions de travail (ARACT d’Auvergne) a été consultée par une fédération de transporteurs routiers sur la mise en place et l’impact de l’informatique embarquée. L’association a ainsi tra- vaillé sur le sujet avec dix entreprises de la région. Les entreprises voulaient localiser en temps réel l’ensemble des camions afin de mieux organiser les tournées et répondre ainsi à la demande des clients dans un délai court. Par ailleurs, elles souhaitaient avoir une meilleure connaissance du temps réel de conduite du chauf- feur afin d’optimiser la durée du transport, sachant qu’au-delà de 35 heures de travail, les heures supplémentaires sont comptées et converties en temps de récupération. L’informatique embarquée apparaissait donc comme la solution. Stéphanie Rousset témoigne : « Les chauffeurs ont vu leur culture métier, basée sur l’indépen- dance, fortement évoluer. Jusqu’alors ils pouvaient se déplacer sans rendre de comptes à l’entreprise à chaque moment de la journée. Ils ont vécu l’introduction de l’informatique à bord des véhicules comme du flicage »(…)

Christel Lambolez

La suite dans la revue officeETculture de septembre 2011